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Voyez-y plus clair

  1. Fréquence du tabagisme dans la population psychiatrique
  2. Règlements et dispositions de gestion du tabagisme
  3. Nocivité du tabagisme sur l’efficacité des traitements en santé mentale
  4. Recommandations de prise en charge
  5. Arrêter de fumer n’entraîne pas d’effet pervers sur l’évolution de la maladie mentale
  6. Particularités dont il faut tenir compte
  7. Le sevrage tabagique encourage l’abstinence ou la stabilisation des autres addictions
  8. Gain de temps pour les équipes
  9. Risque de retour au tabagisme dès la sortie
  10. Coût financier non négligeable pour les patients et pour la société
  11. Temps de la prise en charge
  12. En résumé

Le tabagisme est très fréquent dans la population psychiatrique et en fait la première cause de décès précoce

Une des premières causes de décès précoce des patients psychiatriques c’est bien le tabagisme. Ceux-ci ont, à âge égal, en raison de leur importante consommation, un risque plus élevé de développer des maladies cardiovasculaires, pulmonaires et certains cancers ; Le tabac est donc la première cause évitable de décès pour cette population spécifique.
L’arrêt du tabac apporte des bénéfices immédiats sur le fonctionnement respiratoire et cardiovasculaire. Au plus tôt le fumeur arrête sa consommation, aux plus les bénéfices sont grands ; le gain en qualité et en durée de vie est néanmoins obtenu à tout âge.

L’existence de règlements et de dispositions clairs de gestion du tabagisme constitue une opportunité unique pour la mise en place de services d’aide à l’arrêt du tabac.

On peut considérer que la mise en place d’interdictions de fumer dans l’enceinte des hôpitaux ou des structures où se retrouvent les patients permet d’expérimenter la « vie sans tabac ». Cette expérience, quand elle s’accompagne de l’offre de traitements de la dépendance (comme les substituts nicotiniques) peut être tout à fait surprenante pour certains patients, étonnés finalement de leur capacité à ne plus fumer. Ainsi, lorsque les offres de traitement et de prise en charge (comme les consultations de tabacologie) accompagnent les mesures d’interdiction, celles-ci ne sont plus considérées comme des punitions ou des sanctions mais bien comme thérapeutiques.
On sait qu’une majorité de fumeurs, y compris en psychiatrie, perçoit la nocivité du tabagisme pour sa santé. L’idée même que les professionnels de santé qui les accompagnent n’abordent pas cette problématique avec eux peut, à contrario, faire passer l’idée qu’arrêter de fumer n’est, finalement, pas si important ; ou que le jeu n’en vaut pas la chandelle ; ou encore qu’ils ne les en croient tout simplement pas capables !

Le tabagisme nuit à l’efficacité des traitements en santé mentale

La fumée de tabac interagit avec certains médicaments par induction du cytochrome P450 (1A1,1A2,2E1) augmentant la vitesse de dégradation de certains psychotropes de types anti-dépresseurs (la fluvoxamine) et anti-psychotiques (principalement, clozapine,olanzapine). Ces médications psychiatriques peuvent donc avoir un moindre effet chez les patients fumeurs.

Il existe des recommandations de prise en charge (USA, France)

Celles-ci soulignent que tous les patients devraient être interrogés au sujet de leur consommation de tabac, bénéficier d’un conseil d’arrêt et d’une offre de prise en charge incluant un traitement pharmacologique. Or, une majorité de patients psychiatriques indiquent n’avoir jamais bénéficié d’un conseil d’arrêt tabagique de la part d’un soignant en santé mentale, et ce, en dépit des contacts répétés avec ceux‑ci. D’autres rapportent même avoir plutôt été encouragés à continuer à fumer pour gérer leur stress et/ou pour maintenir leur sobriété.

Arrêter de fumer n’entraîne pas d’effet pervers sur l’évolution de la maladie mentale

On pourrait penser que l’arrêt du tabac altère la stabilité du patient psychiatrique voire aggrave sa problématique ou le précipite dans une décompensation. Cependant, les études réalisées ces dernières années montrent que, pour la plupart des troubles mentaux, l’arrêt du tabac ne perturbe pas l’évolution de ceux-ci. C’est le cas, par exemple, pour les patients schizophrènes dont l’arrêt du tabagisme ne s’accompagne pas d’une aggravation de leurs difficultés d’attention, d’apprentissage verbal et de mémoire, de la mémoire de travail et des fonctions exécutives. De plus, quand on compare deux groupes d’individus (fumeurs en arrêt et fumeurs qui continuent leur consommation) par rapport à 10 indicateurs psychiatriques, dont les symptômes dépressifs, les tendances suicidaires, les hospitalisations en psychiatrie, les consommations d’alcool et de drogues illicites, on s’aperçoit que les patients en sevrage tabac ne rencontrent pas une aggravation de leurs symptômes. Une autre étude portant sur des fumeurs souffrant de stress post-traumatique a montré que ceux pour lesquels un suivi structuré d’aide au sevrage avait été proposé présentaient 5 fois plus de chances d’être abstinents, après 9 mois, que ceux ayant seulement bénéficié des soins et conseils habituels.

On relève quelques particularités dont il faut tenir compte et pour lesquelles la proposition de traitements substitutifs doit être systématisée.

Les patients souffrant de troubles anxieux semblent ressentir plus intensément les symptômes liés au sevrage. On observe que le fait de fumer a tendance à calmer l’anxiété de ces patients à court terme ; par contre, à plus long terme c’est l’inverse qui se produit : l’anxiété augmente avec le tabagisme et laisse la place à des croyances du type «Je ne peux pas me passer du tabac, sinon mon anxiété augmente» ; chez les hommes anxieux ou déprimés en sevrage tabagique, on peut observer plus facilement des difficultés d’attention et d’apprentissage.

Le sevrage tabagique encourage l’abstinence ou la stabilisation des autres addictions

La question s’est longtemps posée dans le milieu psychiatrique de savoir s’il était bien raisonnable qu’un patient alcoolo-dépendant entame un sevrage tabagique en pleine phase de cure. Trop souvent encore, des patients motivés sont découragés, peu ou pas soutenus dans leur demande.

Qu’observe-t-on dans les faits ?

De façon générale, plusieurs études ont montré une association entre l’arrêt du tabac et l’abstinence à d’autres substances tandis que la poursuite du tabagisme est associée à de moins bons résultats des traitements d’aide au sevrage pour les autres consommations.
Plus précisément, concernant l’alcool, des études ont montré qu’à 12 mois, les patients en sevrage alcool ayant arrêté de fumer ont moins de risque d’être encore alcoolo-dépendants et comptabilisent significativement plus de jours d’abstinence (de même pour les autres consommations) que les fumeurs non-abstinents. Les interventions d’aide au sevrage tabagique amélioreraient de 25% les chances d’abstinence aux autres substances à long terme. Ce type de prise en charge semble donc davantage améliorer plutôt que compromettre la sobriété à long terme.

Les traitements d’aide au sevrage tabagique peuvent permettre un gain de temps pour les équipes !

Vous êtes-vous déjà demandé quel temps vous prenait la gestion du tabagisme de vos patients dans une journée? Distribuer les cigarettes au compte-goutte, les allumer, gérer les conflits entre patients, accompagner les patients jusqu’au fumoir (intérieur ou extérieur), chercher les patients au fumoir, «faire place nette», éliminer les déchets et odeurs liées au tabagisme… Quel temps passé autour de la cigarette sans compter les discussions interminables consacrées à ce sujet lors des réunions d’équipe ! Des chercheurs s’intéressant à la question, ont estimé qu’environ 4 heures étaient ainsi consacrées chaque jour à la gestion du tabagisme des patients. On peut donc aisément imaginer que ce temps «clinique» puisse plutôt être mis à profit pour encourager les patients à arrêter de fumer et les accompagner en ce sens afin qu’ils puissent même rester non-fumeurs après leur hospitalisation et prendre en charge d’autres aspects thérapeutiques pour les patients.

L’interdiction ne fait pas tout. Ne pas prendre en charge le tabagisme des patients hospitalisés entraîne un retour au tabagisme dès la sortie

On a observé que les patients hospitalisés en unité psychiatrique, avec règlement d’interdiction de fumer, mais sans prise en charge de la dépendance nicotinique, reviennent pour 75% d’entre eux, à leur tabagisme dès leur premier jour de sortie ! La totalité redeviendra fumeuse trois mois à peine après la sortie. Ceci n’est pas sans conséquence sur l’évolution de la maladie psychiatrique et sur l’efficacité des traitements médicamenteux mis en place. En effet, la reprise du tabac entraîne une diminution des taux sanguins de certains médicaments utilisés en psychiatrie et peut augmenter le risque de ré-hospitalisation. Par exemple, on a observé que les schizophrènes qui fument nécessitent des dosages médicamenteux plus élevés, sont plus souvent hospitalisés, et présentent plus de symptômes positifs que les schizophrènes non-fumeurs. Par ailleurs, bien que le lien ne soit pas encore très clair, le tabagisme serait un prédicteur majeur d’un futur comportement suicidaire, indépendamment de symptômes dépressifs.

Le tabagisme des patients psychiatriques entraîne un coût financier non négligeable pour eux et pour la société

Sachant que les patients fumeurs consomment en moyenne plus de tabac que la population générale, on peut aisément envisager le poids de cette consommation dans leur budget mensuel. Pour certains d’entre eux, on sait que la part attribuée à l’achat de tabac atteindra un quart de leur revenus.

Prendre en charge le tabagisme des patients psychiatriques, quel temps cela prend-il ?

La mise en place de protocoles de sevrage tabagique demande un certain temps. Cependant, un projet bien pensé et bien planifié (formation de personnes ressources, sensibilisation et mise à niveau des connaissances de l’équipe, mise en place de protocoles de prise en charge par type de pathologie et par profil tabagique, répartition des rôles) permet aux équipes qui en font l’expérience de n’accorder que quelques minutes à la question du tabac par patient, en début d’hospitalisation ; cela permet aussi la mise en place éventuelle d’un traitement de substitution nicotinique. Par ailleurs, l’intégration de cette prise en charge dans les unités d’addictions constitue un changement immédiat de point de vue et de pratique qui augmente l’attention clinique portée à la dépendance tabagique des patients, sans pour autant entraîner de surcharge de travail ou de coût financier aux équipes. L’entrée de la question du tabagisme dans les groupes de prise en charge déjà mis en place dans les institutions psychiatriques permet d’apporter un soutien supplémentaire aux patients.


En résumé pour les structures de santé mentale

Par rapport à chaque patient hospitalisé en psychiatrie ou qui fréquente une structure de santé mentale il serait utile :
  • d’ouvrir le dialogue autour de la question du tabagisme lors de l’admission, entre autres via l’utilisation de l’entretien motivationnel
  • de proposer aux patients qui le souhaitent une démarche structurée d’aide à l’arrêt
  • de proposer des substituts nicotiniques aux patients tant ceux qui souhaitent arrêter que ceux qui limitent leur consommation
  • d’assurer la continuité des démarches mises en place lors de l’hospitalisation ou de tout autre moment de prise en charge en psychiatrie/santé mentale.

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